Pour
les préhistoriens, les mains de Gargas sont des «
mains négatives »
: elles ont été réalisées en appliquant
la main contre la paroi et en cernant son contour de colorant.
Une analyse des pigments et l'examen
macroscopique de la peinture effectués par M. Menu et
P. Walter (Laboratoire de recherche des Musées de France
- 1991) a permis de mieux connaître la manière
de peindre ces mains. Il apparaît qu'à chaque main
correspond un « pot de peinture » différent
par la nature du pigment utilisé et sa préparation.
La peinture rouge est constituée d'oxydes
de fer et celle ocre jaune de goethite. Pour les mains
noires de la Grande Paroi de la première salle des oxydes
de manganèse forment le pigment. Au contraire,
le pigment des mains noires du sanctuaire est du charbon
de bois finement broyé. De plus, le mode de dépôt
n'est pas le même selon la nature du colorant : projection
de colorant liquide pour les mains noires du sanctuaire
et les mains rouges ; utilisation d'un pinceau très large
ou d'un morceau de fourrure pour répartir une peinture
pâteuse dans le cas des mains noire de la grande paroi.
C'est aussi cette technique qui fut employée pour appliquer
le talc qui dessine la main blanche du laminoir.
Il
existe donc deux grands ensembles dans la répartition
topographique des mains : la première salle de la galerie
inférieure (74% de mains recensées) et le sanctuaire
des mains (23%). Quelques mains isolées ont aussi
été recensées dans le Pavillon chinois,
dans une loggia de la paroi droite de la salle II et au fond
du laminoir de la zone des crevasses. Les mains ne sont pas
distribuées de manière continue le long des parois.
Elles sont regroupées par panneaux.
Les parois sur lesquelles ont été peintes les
mains négatives de Gargas semblent résulter d'un
choix et, dans certains cas, avoir fait l'objet d'une
préparation comme en témoignent des traces de
grattage et des plages de colorant soufflé sur le fond
rocheux. Dans le sanctuaire des mains et sur la paroi
droite de la salle I, les niches naturelles ont été
privilégiées par les hommes du paléolithique
pour y inscrire l'image de leur main.
Dans
son inventaire, Marc Groënen
compte cent quatre-vingt douze mains négatives sûres
et vingt probables (Claude Barrière en comptait deux-cent
trente et une). L'incertitude vient essentiellement d'une lecture
rendue difficile par l'état de conservation précaire
de certaines mains. Seulement cent-dix mains ont pu être
étudiées avec précision quant à
leur conformation digitale. Une vingtaine de combinaisons ont
pu être déterminées. On remarque dans près
de la moitié des cas (47,3%) que tous les doigts sont
réduits à une seule phalange, sauf le pouce qui
reste entier. Par ailleurs dix sept mains sont complètes
(15,5%). Les autres types de conformations les plus fréquents
sont les doigts complets à l'exception du majeur réduit
à une phalange (5,4%), les trois premiers doigts complets
et les deux autres réduits à une phalange (5,4%).
Dans leur très grande majorité, les mains sont
orientées verticalement et il s'agit de mains droites
et de mains gauches. Toutes les tailles sont présentes
et il semblerait que les mains de Gargas
ont été celles d'individus des deux sexes, appartenant
à toutes les tranches d'âge, du nourrisson à
l'adulte.
Le
problème des doigts incomplets a été
abordé dès la découverte des mains de Gargas.
L'abbé H. Breuil et E. Cartailhac ont commencé
par imaginer que les hommes du paléolithique avaient
replié leurs doigts avant d'appliquer le colorant autour
de la main posée sur la paroi. Mais des échecs
répétés dans leurs tentatives pour reproduire
les mains les ont conduits à abandonner cette hypothèse
et à avancer celle de l'existence de mutilations rituelles,
comme l'ethnographie australienne et boschimane en fournissait
l'exemple.Dès lors, Gargas est devenue
"la grotte des mains mutilées". Pourtant, le docteur
L. Capitan, G.H. Luquet ou P. Sayntives avaient repris l'hypothèse
des mains aux doigts repliés et ont essayé d'en
démontrer la validité. Mais l'autorité
de Breuil et les recherches complémentaires de N. Casteret
et J. de la Roche, ont installé cette interprétation
qui voulait que les hommes de Gargas aient pratiqué la
mutilation d'un ou plusieurs doigts en signe de deuil. Pendant
un temps le professeur L.-R. Nougier soutint, lui aussi, cette
interprétation surtout justifiée par des comparaisons
ethnographiques. Puis il changea d'avis et se rallia à
l'hypothèse des mutilations pathologiques.
C'est
le docteur A. Sahly qui, dans une
thèse de lettres consacrée aux mains dans l'art
préhistorique (1969), a formulé cette seconde
interprétation. Il considérait a priori, que les
mains de Gargas, de Tibiran et de Maltravieso n'avaient pas
pu être réalisées en repliant les doigts.
Donc, il rechercha des preuves de leur mutilation. L'existence
à Gargas comme dans d'autres grottes, d'empreintes accidentelles
de doigts dans l'argile, qu'il interpréta comme des mains
mutilées, les lui apporta. Il imagina
alors que les hommes de Gargas, affaiblis par des carences alimentaires,
n'avaient pas supporté le refroidissement du climat
à l'Aurignacien. Ils auraient ainsi
subi de très graves gelures ayant entraîné
une nécrose des doigts ou bien auraient été
victimes de la maladie de Raynaud, et seraient venus dans la
grotte tenter de soigner leurs moignons dans l'argile.
Cette argumentation est aujourd'hui réfutée. Les
mains de Gargas datent probablement du Gravettien et non l'Aurignacien.
La présence d'empreintes de mains mutilées dans
l'argile est très contestée par les préhistoriens.
Enfin, il est surtout difficile de justifier que des gelures
ou des troubles circulatoires auraient mutilé tous les
doigts et épargné le pouce, toujours entier sur
les mains de Gargas.
A.
Leroi-Gourhan,
dans un article paru en 1967, a repris à son compte l'hypothèse
des doigts repliés. Elle est ajourd'hui admise par la
grande majorité des préhistoriens. D'autant que
les expérimentations de M. Groënen et de M. Lorblanchet
ont montré que l'on pouvait reproduire toutes les mains
de Gargas par cette technique. Un technique utilisée
par les hommes du paléolithique comme le prouve la frise
de pouces repliés, peinte au pochoir, à l'intérieur
du sanctuaire des mains. Pour A. Leroi-Gourhan les
hommes de Gargas possédaient un langage gestuel qu'ils
utilisaient lors de la chasse ou pour la transmission de contes
initiatiques. Il s'agit de pratiques attestée
par l'ethnographie dans toutes les civilisations de peuples
chasseurs. Cependant, la présence des mains sur les parois
demeurent toujours aussi énigmatique.
Plus
récemment, Jean Clottes
a expliqué que l'important n'est peut être pas
l'image de la main qui reste sur la paroi. Dans une interprétation
faisant le lien entre l'art des cavernes et les pratiques chamaniques,
il considère que c'est l'acte de couvrir, ensemble, la
main et la paroi autour, d'une même substance rituellement
préparée qui importait le plus. A cet instant,
la main semblait traverser la paroi et « pénétrer
dans le monde spirituel caché derrière le voile
de la pierre ». Dans ce contexte, il n'exclut pas l'existence
d'amputation faisant partie de rites d'initiation chamanique.
Les
mains de Gargas sont attribuées au Gravettien.
La datation n'a pas été obtenue sur un échantillon
de pigment. Ce sont des esquilles d'os
trouvées dans les fissures de la grande paroi des mains
qui ont été datées de 26860
ans ± 460. Les mains de Gargas sont contemporaines
de celles de Cosquer.
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